Dans un précédent article, nous avons partagé avec vous plusieurs histoires relatant la façon dont le contexte de confinement lié au COVID-19 avait pu contribuer à faire émerger des voies de soulagement pour des problématiques parfois inscrites de longue date.
Nous allons ici vous parler de la façon dont le nouveau contexte a poussé certains systèmes jusqu’à des seuils critiques, pouvant là encore être à l’origine de changements importants. Ces situations problématiques émergent souvent dans un terreau déjà bien préparé, mais peuvent aussi parfois prendre les protagonistes concernés par surprise.
Nathalie et Julien ont un rapport très différent au temps. Si, pour Nathalie, il est important de planifier, de s’organiser, d’anticiper, son mari Julien a lui toujours préféré fonctionner de manière spontanée, se laisser aller dans le flux des événements, saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent, sans vouloir se coincer dans un programme contraignant. Avec l’arrivée des enfants, cette différence d’approche a commencé à poser certaines difficultés entre eux, mais, avec l’aide d’un thérapeute, le couple a finalement réussi à trouver certains arrangements acceptables. Ainsi, Nathalie est parvenue à ne plus attendre que Julien se lève le weekend (le plus souvent après midi) pour commencer son programme de la journée avec les enfants, et Julien a accepté de prendre en charge les enfants et d’aller les chercher à l’école un soir par semaine (le lundi), concession à son fort besoin de liberté et de spontanéité. Et le système a ainsi trouvé une sorte d’équilibre… jusqu’à l’arrivée du confinement… Nathalie appelle le thérapeute en pleurs : « C’est une catastrophe, avec l’école à la maison, j’ai les enfants à gérer toute la journée, et Julien n’étant plus du tout contraint par les horaires professionnels ou scolaires en a profité pour se laisser complètement aller! Il considère que c’est à moi de gérer la famille, et il me propose son aide ponctuellement, quand il a le temps, mais le plus souvent à des moments qui ne me sont d’aucune utilité! Avant, j’avais la journée, quand mes enfants étaient à l’école, pour vaquer à mes occupations, pour me reposer un peu, mais aujourd’hui, je n’ai plus un moment pour moi! Je n’en peux plus, je n’ai qu’une envie, c’est de foutre Julien dehors! »
Le changement de contexte peut obliger à remettre sur la table les règles, qu’elles soient explicites ou implicites, qui déterminent la façon dont fonctionnent certains systèmes familiaux. Les ajustements nécessaires émergent parfois naturellement de l’interaction entre les personnes, sans qu’elles aient besoin d’en parler, ou de faire quelque chose de particulier, mais ce n’est pas toujours le cas, ce qui peut alors mettre l’un ou l’autre membre du système dans une position très inconfortable. Ainsi par exemple lorsque des gardes partagées, une semaine sur deux, se transforment en gardes à plein temps, et que la relation entre les enfants et leur belle-mère commence à devenir invivable… Et il n’est pas toujours possible, ou du moins facile, pour les personnes concernées, de se renégocier des espaces de respiration. Mais pas facile non plus d’accepter de vivre, même temporairement, dans un environnement beaucoup plus entropique, beaucoup plus chaotique…
© Photo de Yosh Ginsu sur Unsplash
Marcel est un cadre dirigeant qui vit une situation professionnelle extrêmement difficile. Un an après une prise de poste à haute responsabilité, il ne trouve plus la force de gérer les choses, tant il se sent déprimé en raison de son incapacité à atteindre ses résultats commerciaux. Il a eu beau, pendant des mois, s’exhorter, essayer de se forcer à aller au bureau pour travailler, il n’y parvient juste plus. Avec l’aide de son thérapeute, il a enfin trouvé le courage d’annoncer à son patron qu’il n’avait plus la force de tenir, et on lui ont trouvé un remplaçant. Son thérapeute lui a prescrit du repos, ce qu’il est parvenu à faire, s’autorisant même parfois à rester au lit toute la journée et il a commencé à se sentir tout doucement un peu moins mal… jusqu’au début du confinement… Son épouse Hélène s’est retrouvée du jour au lendemain en télétravail, donc toute la journée avec lui à la maison, et en sa présence, il n’ose plus faire « la moule sur son rocher », comme il dit, il a trop honte! Du coup il se force à nouveau à essayer d’être actif et efficace… et son état se dégrade rapidement. Et pourtant, Hélène ne lui met même pas particulièrement la pression, mais sa simple présence suffit à l’empêcher de faire ce dont il aurait le plus besoin à ce moment précis!
Maryse vit seule avec sa fille Juliette dans leur petit appartement depuis de nombreuses années. Et, jusqu’à l’arrivé de l’adolescence, les choses se sont vraiment plutôt bien passées. Mais, depuis que Juliette a atteint sa quatorzième année, le quotidien a commencé à se compliquer passablement : l’adolescente ne tolère plus aucune remarque, aucun conseil venant de sa mère, que cela concerne ses habits, sa coupe de cheveux, ses fréquentations ou l’utilisation de son téléphone portable. Cela donne lieu à de fréquents heurts entre la mère et la fille, qui amènent Maryse à consulter. Elle explique à sa thérapeute que ses disputes avec Juliette se terminent généralement par le fait que Maryse parte au travail, que sa fille parte à l’école ou que Maryse aille fumer une cigarette en bas de l’immeuble, ce qui permet aux deux de se calmer, du moins temporairement. Mais pour Maryse, l’idée de changer le mode relationnel qu’elle entretient avec sa fille, comme le lui propose sa thérapeute, est une chose très difficile à envisager… Lors de la première semaine de confinement, Maryse essaie de reprendre à Juliette son téléphone portable, mais sa fille refuse et les deux protagonistes se retrouvent face-à-face, dans un petit espace, pour la première fois sans possibilité de repli ou de fuite… et Maryse se rend compte à ce moment là qu’elle serait bien incapable d’obliger physiquement Juliette à lui rendre le téléphone, à moins de laisser les choses dégénérer en bagarre… Elle comprend que les choses ne peuvent plus continuer comme ça, elle va devoir changer quelque chose dans sa position. Cela va ouvrir de nouvelles possibilités pour elle dans le travail thérapeutique.
Daniel, en thérapie de couple, se rend compte le jour de l’annonce du confinement qu’il n’est pas du tout envisageable pour lui d’être confiné avec son épouse, et qui décide le jour-même de la quitter. Il explique que leur couple « tenait » depuis des années, probablement principalement par le fait qu’ils passaient très peu de temps ensemble, entre leurs responsabilités professionnelles respectives, les différentes activités extra-scolaires de leurs enfants, ils se croisaient à peine. Ainsi, alors qu’il supportait le fait qu’ils ne se soient plus touchés depuis neuf longues années, le nouveau contexte lui a permis de mettre un terme à une situation douloureuse qui se maintenait néanmoins. Le confinement a fait pour lui office de révélateur, d’information, il est « la différence qui fait une différence ».
Ces quelques situations illustrent le fait que, dans certains cas, le contexte de confinement est susceptible d’amener des personnes à reprendre ou à amplifier certaines de leurs tentatives de solution aggravantes, et même, dans certains cas, à les pousser tellement loin que ces personnes se retrouvent prêtes à envisager un changement, ce qui représentera une opportunité précieuse pour l’intervenant stratégique qui les accompagne. Dans d’autres cas, en mettant à mal les mécanismes homéostatiques qui maintenaient certains systèmes en équilibre depuis de nombreuses années, la situation de confinement contribue à faire émerger des changements très profonds dans les dynamiques interactionnelles desdits systèmes.