Pour préparer notre contribution à cette journée consacrée à la question de savoir « Comment devenir un meilleur thérapeute ? », nous nous sommes inspirés d’un des pères fondateurs de la thérapie brève de Palo Alto, Paul Watzlawick, et de ses judicieux conseils visant à « réussir à échouer » et à « faire soi-même son propre malheur ».

Une thérapie, aussi brève soit-elle, est généralement faite de plusieurs séances, et aucun thérapeute, aussi expérimenté et talentueux soit-il, n’est à l’abri de faire, un jour, une « mauvaise séance » ; comme à l’inverse, quelqu’un qui travaille généralement de manière peu efficace peut parfois avoir un coup de génie.

Nous aimerions par conséquent vous inviter, à travers cette brève intervention, à vous livrer avec nous à un petit jeu de l’esprit :

« Imaginons que lors de votre prochaine séance, vous vouliez tout faire pour que la thérapie n’aide pas du tout votre patient à aller mieux, voire même qu’au lieu qu’il se sente mieux, vous vouliez au contraire faire en sorte que votre patient aille encore plus mal. Que devriez-vous alors faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire, penser ou ne pas penser ? »

En partant de nos réflexions et de nos échanges autour de cette question, nous allons partager avec vous quelques pistes aux allures paradoxales, dans lesquelles s’entremêlent trois grandes dimensions systémiques : la relation que le thérapeute entretient avec lui-même, celle qu’il entretient avec le monde et, bien entendu, la relation qu’il entretient avec ses patients.

Pour commencer à se rendre inefficace, le thérapeute pourra penser qu’il n’existe qu’une et une seule réalité – une « bonne » façon de voir la vie, le monde, les problèmes, les solutions, etc. – à savoir la sienne. Il cherchera alors logiquement à rétablir, à rectifier, à corriger ce que dit le patient, ce qu’il pense, pour l’amener à voir la « réalité » « telle qu’elle est ». Ainsi une thérapeute qui travaillait dans un centre ambulatoire qui accompagnait des auteurs de violences conjugales s’escrimait-elle en vain à essayer de faire comprendre à un patient originaire d’Afghanistan que le comportement qu’il avait eu avec son épouse était un comportement « violent », générant incompréhension, dénégations et un agacement de plus en plus palpable chez ce monsieur qui, par son expérience de vie, avait une conception bien différente de ce qu’était la violence. Une telle posture revient à croire qu’il est possible de définir de manière objective ce qui constitue, dans ce cas, de la « violence »… alors que nous savons grâce à Bateson et à la cybernétique de deuxième ordre que l’objectivité en matière de relations humaines et de sciences humaines n’existe pas. Pour un intervenant pratiquant le modèle de Palo Alto, c’est justement la construction de la « réalité » produite par son client qui importe le plus, car c’est sur elle qu’il va pouvoir s’appuyer, même lorsque cette « réalité » s’éloigne fortement des conventions ou des habitudes de pensée qui sont celles du thérapeute ou de la société au sein de laquelle il évolue. On retrouve ici Erickson, qui enseignait à ses élèves de ne jamais insister avec les patients pour essayer de modifier directement leur façon de penser.

Dans la même ligne, le thérapeute qui voudra être certain de s’aliéner ses patients à tous les coups pourra s’employer à confondre systématiquement santé mentale et obéissance à l’autorité, pratique fort courante qui a été décrite par le sociologue Erving Goffman. Il s’efforcera alors à tout prix de faire prendre conscience à ceux de ses patients qui ne respectent pas le cadre de l’école, du foyer, de l’hôpital, de la loi, de la morale, qu’ils ont un problème, il voudra les amener à prendre conscience du fait qu’ils ont un problème. Tabler sur le fait qu’une « prise de conscience » de ce type est la condition nécessaire et suffisante pour faire advenir un changement et une amélioration dans la situation est un piège qui pourra prendre diverses formes dans la dynamique relationnelle entre le thérapeute et son patient, selon comment ce dernier réagit. Ainsi, une adolescente à qui l’on tient ce type de discours pourra se murer dans le silence et refuser obstinément l’aide qui lui est proposée (imposée ?), ne pas se présenter aux rendez-vous qui lui sont fixés, oublier, s’énerver, se victimiser… Alors qu’une autre adolescente pourra au contraire tenir un discours tout à fait conforme à ce qui est attendu par son thérapeute : « Oui, j’aimerais trouver une formation… il faudrait que je me motive… que je retourne à l’école… que j’arrête mes bêtises, que j’arrête la conso… » – tout en continuant par ailleurs à agir à sa guise… Un tel décalage entre les mots et les actes aura tôt fait de corroborer un inquiétant diagnostic psychiatrique la concernant.

La dynamique décrite à l’instant pointe vers une autre façon de définir les problèmes de manière à ne pas pouvoir les résoudre. Pour cela, il faudra chercher à définir les caractéristiques du patient et les considérer comme lui étant intrinsèques plutôt que de les resituer dans l’interaction, dans leur contexte d’émergence. Une telle définition individuelle et non contextuelle des problèmes permettra de figer les situations problématiques plutôt que de les amener à évoluer. Si l’on reprend le cas d’une adolescente qui ne respecte pas l’autorité des adultes, et que l’on ignore le fait que ses parents ne lui ont donné que très peu d’occasions de les considérer comme des personnes fiables, responsables et cohérentes, on ne pourra pas comprendre le fait que cette jeune fille n’a, de son point de vue, pas vraiment de raisons d’avoir une haute opinion des adultes, et l’on manquera de percevoir également la dimension adaptative de la profonde défiance qu’elle ressent à leur égard.

Ainsi, bien des patients désignés se méfient de ce qui pourra leur être proposé par leur thérapeute et sont loin d’être de prime abord disposés à se mobiliser et à changer leur façon de fonctionner. Ignorer cela et considérer d’emblée, sans nous poser de question, que la personne qui a pris place dans le fauteuil en face de nous est prête à travailler avec nous, qu’elle est demandeuse d’un changement, disponible et apte à s’engager à faire ce qu’on lui demandera de faire pour opérer ce changement (en référence à la notion de « client » dans notre approche), et croire que nous n’avons rien à faire pour la clientéliser est une autre bonne façon d’aller de déconvenue en déconvenue. Adoptant une sorte de position d’optimisme béat, nous devrons pour cela oublier que les personnes qui ne consultent que pour nous demander la simple « permission » de changer pour aller mieux ne sont qu’une très petite minorité, et qu’en général les patients, même motivés, peuvent se sentir empêchés de réaliser des changements ou peuvent ressentir une forme ou une autre d’ambivalence.

Pour nous garantir de faire émerger une belle résistance chez notre patient, nous devrons aussi oublier de tenir compte de l’importance du pacing avant le leading, notions chères à Milton Erickson – nous imaginer que l’on va pouvoir directement emmener le patient quelque part sans l’avoir d’abord rejoint là où il est. Il faudra considérer qu’il n’est pas du tout nécessaire de nous accorder à la personne, de la rejoindre, de s’intéresser à sa vision des choses, de vérifier si on l’a bien comprise. Nous devrons au contraire chercher à passer en force, à vouloir la convaincre à tout prix du bienfondé de nos propres interprétations de sa situation, à vouloir lui imposer nos vues, nos conclusions, à faire fi de ses objections, à insister sur le fait qu’elle doit changer, se remettre en question, se mobiliser. La pression exercée ainsi permettra alors généralement de détériorer durablement la relation, amenant le patient à tourner un peu autour du pot en nous disant qu’il va réfléchir (s’il est poli) avant de ne finalement pas reprendre rendez-vous, ou, parfois, à annuler à la dernière minute le rendez-vous suivant, voire à nous poser un lapin…

Sur le plan de la communication, une autre méthode très simple mais très efficace pour générer de la résistance, consiste à insister pour utiliser nos propres mots, nos propres expressions, nos propres métaphores, plutôt que celles du patient. Cela crée autant de dissonances, d’occasions pour le patient de ne pas se sentir pris en compte, de tout petits coups de canif dans la relation… Par exemple :

  • Le thérapeute dit : « Jusqu’à la fois prochaine, je vais vous demander de réfléchir, chaque jour, à trois petits plaisirs que vous pourriez vous octroyer dans la journée. »
  • Le patient : « Est-ce que ça va aussi si ce sont juste de petites satisfactions ? »
  • Le thérapeute : « Oui, tout à fait, pensez à trois petits plaisirs… »

Même si chaque erreur est coûteuse, nos patients sont le plus souvent capables de faire preuve d’indulgence et de patience avec nos petites maladresses, c’est pourquoi il est important de les répéter plusieurs fois, pour garantir un meilleur effet !

Ne pas rejoindre le patient dans sa « position » peut prendre d’autres formes qui fonctionnent à merveille pour rendre le dialogue thérapeutique problématique. Une patiente explique que sa fille Nora, 16 ans, se met très régulièrement en danger. La thérapeute commence une reformulation :

  • Nora est une adolescente…
  • Non, s’exclame la patiente en interrompant brutalement sa thérapeute, ce n’est pas juste une adolescente ! Je vous dis qu’elle se met en DANGER !
  • Un peu plus tard, la thérapeute lui dit : « Vous êtes très inquiète… »
  • Et la maman de s’exclamer à nouveau : « Mon inquiétude ! Mon inquiétude ! On ne me parle que de mon inquiétude ! Mais il ne s’agit pas de moi ! C’est ma fille qui se met en danger ! »

En donnant le sentiment à la maman qu’elle minimise la gravité des actes de Nora, puis en focalisant son discours sur la maman plutôt que sur sa fille, la thérapeute heurte la position de sa patiente, ce qui contribue à faire émerger une forte résistance chez celle-ci.

Ainsi, sur le plan de la relation, à nouveau, pour faire du mauvais travail, nous ne devrons pas prendre le temps de nous accorder (comme on accorde un instrument) avec chacun de nos patients à chaque séance, même si nous les connaissons déjà, nous devrons nous attendre à ce que les choses soient les mêmes d’une séance à l’autre, à ce qu’elles ne changent pas, en fait ! Nous devrons ne pas être sensibles à ce qui pourrait être différent à ce moment précis, aller trop vite, suivre nos propres idées, élaborer nos propres développements, sans vérifier si nos interlocuteurs nous suivent.

Une attitude tout aussi efficace pour ne pas aider nos patients à résoudre leurs problèmes consiste à considérer que c’est le patient qui doit lui-même trouver ses propres solutions à tous ses problèmes, sans que nous, thérapeutes, ne lui suggérions quoi que ce soit. Lorsqu’il nous exposera ses difficultés, on se contentera de lui poser la question : « Que pourriez-vous faire pour résoudre ce problème ? », et idéalement, plus le patient semblera peiner à répondre à cette question, plus il sera judicieux de la poser à nouveau, plusieurs fois s’il le faut, afin de pousser le patient dans un état de totale exaspération : « Mais si je viens vous consulter, c’est précisément parce que je ne sais pas quoi faire ! » Cette stratégie consiste à faire clairement sentir au patient que nous ne lui serons d’aucune utilité pour avancer dans la résolution de ses problèmes… Dans ce même esprit, pour ne pas aider ses patients, le thérapeute devra ne pas oser intervenir alors même qu’il aura identifié le fonctionnement de leur problème, les tentatives de solution mises en œuvre et les thèmes qui en découlent. Dans les termes de la thérapie brève de Palo Alto, il ne devra pas chercher à guider les patients à 180° par rapport au thème des tentatives de solution, ne pas chercher à couper leurs tentatives de solution.

S’il souhaite aggraver encore davantage la situation de ses patients, le thérapeute pourra même les encourager dans leurs tentatives de solution qui – par définition – aggravent leurs problèmes ou, variante assez fréquente, il devra commencer à leur prodiguer des conseils avant d’avoir compris la façon dont ils aggravent leurs problèmes. Il pourra aussi répéter les conseils de bon sens qui ont déjà été prodigués au patient par ses proches… (faute d’avoir vérifié par avance ce qu’ils lui disent). « C’est exactement ce que me dit ma mère ! » rétorquera le patient… Un indice que notre intervention ne fait vraiment pas avancer le schmilblick ! Ainsi cette thérapeute qui, face à un patient qui avait complètement perdu confiance dans sa capacité à prendre de bonnes décisions pour lui-même suite à une douloureuse et retentissante faillite, répondait à toutes ses sollicitations de panique dans les situations compliquées de sa vie en lui disant exactement ce qu’il devait faire. Cette même attitude était par ailleurs adoptée par la mère, par le meilleur ami et par la sœur du patient, et contribuait très efficacement à lui confirmer qu’il ne pouvait s’appuyer sur son propre ressenti pour prendre des décisions, dans un cercle vicieux qui alimentait inéluctablement sa dépendance et son manque de confiance en lui.

Une autre méthode très répandue et qui échoue elle aussi quasiment à tous les coups consiste à appliquer un protocole thérapeutique standardisé en fonction de la catégorie diagnostique abstraite dans laquelle nous avons classé notre patient. Par exemple, le patient souffre d’une « anorexie », j’applique le protocole X pour les anorexiques, il souffre d’une « dépression », j’utilise la méthode Y pour les troubles de l’humeur… On plaquera ainsi mécaniquement une technique en faisant fi des spécificités de la personne, de son contexte, de son degré de motivation, dans une logique de « prêt à porter » qui nous permettra à coup sûr de manquer notre cible. Comme le soulignait déjà Erickson, repris par François Roustang : « Nous n’avons pas à faire de diagnostic sous peine d’enfermer le patient dans une généralité. Ce qui importe, ce n’est pas de le faire entrer dans une catégorie nosographique, mais de percevoir comment il se situe par rapport à sa réalité. »

Ou alors, nous devrons fortement espérer que les patients changent, qu’ils aillent mieux, car cela nous soulagerait, nous thérapeutes, et en cela nous leur mettrons subtilement la pression, nous ne les autoriserons pas à être comme ils sont, à progresser à leur propre rythme, nous leur communiquerons des messages implicites de non-acceptation, nous aurons nos propres objectifs pour eux – comme si nous étions dotés d’une prescience qui nous rendrait capables de savoir, de manière absolue, ce qui est bon et possible pour eux. Autrement dit, nous devrons être trop investis, devenir nous-mêmes les clients de la thérapie.

Une autre façon de ne donner aucune chance à ce que quoi que ce soit d’utile advienne dans le processus thérapeutique consiste à se couper, dans la mesure du possible, de ses propres sensations, de ses ressentis, en restant « dans sa tête » et en s’appuyant sur une compréhension exclusivement logique et rationnelle des problèmes de nos patients. En procédant de la sorte, en évitant de nous laisser toucher par ce que nous amène le patient, nous serons à coup sûr dans l’incapacité de le rejoindre. Il aura ainsi un sentiment très net que nous ne comprenons pas sa situation dans toute sa complexité, et que nous restons « à distance » de lui et de ses problèmes. Nous couper de nos sensations nous coupera également de toutes les informations sensorielles non verbales et paraverbales qui font la communication thérapeutique (être influencés et influencer), de façon à nous rendre aveugles, maladroits et empêtrés dans nos belles théories. Le thérapeute pourra ainsi rester seulement au niveau des idées, dans un mode communicationnel uniquement rationnel, explicatif, voulant faire comprendre, expliquer, sans recourir au langage analogique, évocateur, sensoriel, et il ne s’assurera pas que le patient reçoit vraiment ce qu’il veut lui faire passer, il devra ne pas considérer que la chose la plus importante, c’est que les sensations de son patient changent, que sa perception de son problème change.

Nous pourrons aussi commettre l’erreur de faire preuve d’un enthousiasme thérapeutique exagéré en croyant que « c’est gagné » quand la thérapie progresse vite ou qu’un déblocage a eu lieu très rapidement, et vouloir absolument continuer au même rythme rapide, au risque de déstabiliser le patient, de mettre à mal son écologie en ne prenant pas en compte l’ensemble de son contexte de vie (je pense par exemple à cette jeune femme qui avait consulté pour une émétophobie – c’était sa mère qui avait pris le premier rendez-vous pour elle. Auparavant, elle avait été hospitalisée de nombreuses fois en psychiatrie, suite à quoi elle n’était quasiment pas sortie de sa chambre depuis plusieurs années. Du fait de cette émétophobie, elle ne s’éloignait jamais de ses nombreuses bassines, qu’elle gardait même sur son lit… Ce problème spécifique avait été réglé en une séance, et une relation de confiance s’était installée… patiente et thérapeute avaient alors choisi de consacrer une partie de chaque séance à marcher ensemble en ville, tout en parlant. Et comme la jeune femme aimait les plantes, la thérapeute avait pensé à aller avec elle dans une jolie jardinerie de cette petite ville. La première promenade avait permis à la thérapeute de réaliser qu’en fait, depuis cinq ans, cette jeune femme ne s’était pas éloignée de son immeuble à plus de cinq minutes de marche. Et que par conséquent il fallait rester prudent, ne pas se laisser entraîner aveuglément par l’enthousiasme des premiers progrès pour éviter de mettre la patiente trop à l’épreuve.)

Nous devrons également avoir des attentes irréalistes envers nos patients, les surestimer, leur demander de faire des choses qui ne sont pas – ou pas encore – possibles pour eux, et par conséquent nous mettre tous en échec, patient et thérapeute. Ainsi, ce couple d’universitaires brillants auxquels j’avais demandé de réfléchir à la question théorique « Comment aggraver » et qui m’avaient semblé prendre la prescription très à la légère, dans le sens où malgré mes recommandations ils n’y réfléchissaient pas vraiment et par conséquent nous ne pouvions pas faire quoi que ce soit de leur absence de réponse… et nous avions difficilement avancé – à mes yeux, notre travail n’avait pas été aussi efficient qu’il aurait pu être. Quand finalement, sous forme de boutade, j’avais fait remarquer à ces deux intellectuels qu’ils n’avaient pas été aussi bons qu’ils auraient pu l’être sur cette question, l’épouse m’a regardé candidement en me disant : « Mais sincèrement, je ne pensais pas que j’aggravais la situation de notre couple en me plaignant, en exprimant mes doléances… Je pensais que c’était bien… »

Ou alors le thérapeute devra se laisser aller à ses propres réactions émotionnelles, voire même considérer qu’il est normal de s’y complaire – par exemple en justifiant sa propre fatigue, son impatience, son irritation, son incompréhension – sans recul, sans les traiter, en étant plus centré sur lui-même que sur le patient. Je me rappelle d’une première séance avec une dame toute simple, une connaissance de ma femme de ménage qui me l’avait envoyée, et qui parlait, parlait, parlait, et j’ai réalisé que je commençais à devenir tendue, à m’impatienter, à avoir comme une vague impression qu’elle était « bête », et à penser quelque chose comme : « Oh là là, mais pourrons-nous arriver à quelque chose ensemble ? » Et le fait même de reconnaître ce petit mouvement interne m’a permis de me recadrer moi-même et l’instant d’après, j’étais disponible pour cette dame qui, je dois le dire, a remarquablement travaillé, et la thérapie a bien fonctionné, en peu de séances qui plus est ! En effet, nous savons que si nous décelons chez nous-mêmes une émotion ou un mouvement interne de quelque type que ce soit, si nous prenons ne serait-ce qu’un instant pour l’accueillir, pour en accuser réception, ce ressenti a tôt fait d’évoluer ou même de se dissiper pour laisser place à plus d’espace, plus de disponibilité, plus de compréhension… Ou à l’inverse, lorsqu’il vit une émotion indésirable, le thérapeute devra tenter de l’occulter, il devra tenter d’y faire barrage, et c’est alors que ce vécu prendra de plus en plus de place en lui, qu’il l’envahira, se durcira et l’empêchera de rester dans la relation avec le patient, disponible à ce qui advient instant après instant…

S’il veut augmenter les risques d’être, ou de devenir un mauvais thérapeute, le thérapeute devra penser qu’il peut tout appréhender alors même qu’il n’a pas l’expérience des choses, il devra oublier l’étendue de sa propre ignorance. Par exemple, il devra être persuadé qu’il a une idée précise de ce qu’est la dépendance, pour ensuite tomber de haut en réalisant qu’il n’aurait jamais envisagé ce que c’est que d’être incapable d’aller aux toilettes tout seul ! Ce qui équivaut à un manque d’humilité, mais aussi de curiosité qui l’empêchera de se poser et donc de poser à son patient des questions sur la manière dont celui-ci vit son problème…

Le thérapeute devra aussi s’interdire d’utiliser tout ce qu’il pourrait utiliser, y compris ses expériences personnelles, pour comprendre et rejoindre ses patients, et les aider ainsi à changer. Visant une attitude « neutre », « professionnelle », il ne devra pas se servir de son vécu dans un but thérapeutique, et ne pas s’y confronter, le contempler, de manière à être sûr de ne rien pouvoir en faire pour mieux comprendre et aider les autres.

Également, le thérapeute qui veut s’assurer de ne jamais s’améliorer ne devra surtout pas être curieux, il devra absolument éviter de s’intéresser à des sujets variés qui parfois semblent n’avoir aucun lien avec la thérapie ; il ne devra pas lire, ni continuer à se former, ni aller en supervision. S’il a eu quelque succès dans ses thérapies, il faudra naturellement qu’il s’endorme sur ses lauriers, qu’il soit convaincu qu’il sait, qu’il « assure », car il sera ainsi désagréablement surpris par de nouvelles réalités ou alors il ne sera même pas capable de les voir et encore moins d’en tenir compte, et ainsi il perdra le rapport et la qualité de la relation avec ses patients.

Enfin, en conclusion, le thérapeute devra être très (trop) préoccupé de lui-même, il devra être très attaché au fait de faire bonne figure, d’être celui qui sait, de garder la face, d’être un bon thérapeute, et par conséquent il se coupera du patient. Car c’est uniquement en focalisant notre attention sur le patient que nous pouvons installer une bonne relation avec lui et obtenir les informations nécessaires pour l’aider. Dans les termes des fondateurs de l’approche de Palo Alto : « un bon hypnotiseur [ou un bon thérapeute] se sert de tout ce que le sujet lui-même introduit au cours des visites, sous forme d’espoirs, superstitions, craintes et résistances, plutôt que d’appliquer invariablement la méthode qui lui plait le plus, à lui. »

Avez-vous d’autres idées à suggérer ?

Un article de Guillaume Delannoy et Nathalie Koralnik, initialement publié dans le numéro 73 de la revue Hypnose et Thérapies brèves de mai 2024.

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